Souvent, cela commence par une simple restriction alimentaire. Suivie d'une autre, jusqu'à limiter drastiquement la liste des ingrédients autorisés. D'abord, on supprime la viande rouge ou les laitages par exemple, puis le gluten, le sucre…
Renee McGregor est diététicienne au Royaume-Uni, spécialisée dans l'alimentation des sportifs. Dans sa pratique, elle s'est aperçue qu'elle rencontrait de plus en plus souvent des personnes pour qui le souci de manger sain était devenu une manie. Leur comportement, a priori dicté par le souci de se maintenir en bonne santé, se révélait en fin de compte nocif. Les multiples restrictions qu'ils s'imposaient finissaient par induire un déséquilibre dans leur organisme et menaient à des carences graves. Terme forgé par le Dr Steven Bratman en 1996, l'orthorexie, du grec "orthos" (correct) et "orexis" (appétit), désigne l'obsession de s'alimenter sainement. "À la source de l'orthorexie se trouve l'obsession de s'améliorer soi-même, bien plus souvent que l'effort désespéré d'atteindre le poids parfait, comme dans les troubles de l'alimentation plus connus que sont l'anorexie et la boulimie", détaille-t-elle dans son livre.

L'état de dénutrition relatif que peuvent présenter les personnes orthorexiques conduit souvent à des altérations.

"Il n'existe actuellement pas de critères de diagnostic pour l'orthorexie et elle n'est pas encore rentrée dans la catégorie des troubles alimentaires", explique le Dr Yves Simon, psychiatre. Des discussions sont en cours pour déterminer si l'on pourrait rapporter l'orthorexie à l'anorexie ou aux TOC (troubles obsessionnels compulsifs, NDLR). "On observe chez les personnes présentant de l'orthorexie des symptômes que l'on observe aussi dans les TOC, comme des ruminations, des pensées intrusives ou des manières d'organiser les repas et de préparer les aliments de façon très ritualisée, parfois avec la peur d'être contaminé par de mauvaises substances. Mais il y a aussi des similitudes avec l'anorexie mentale, notamment une forme de perfectionnisme : ce n'est pas la silhouette parfaite, mais le régime parfait qui est recherché ici. C'est ce qu'on appelle la rigidité cognitive, c'est-à-dire une tendance à maintenir ses positions et à avoir des difficultés à changer de point de vue, même face à des arguments rationnels."

Des bonnes habitudes… à l'obsession malsaine
Les personnes présentant de l’orthorexie se soucient avant tout de l'impact des aliments sur leur santé, plus que de leur poids ou de leur image corporelle. "Elles nourrissent des croyances irréalistes à ce sujet et leur comportement est souvent un peu ostentatoire, explique le Dr Yves Simon. Elles ne cachent pas leur comportement, à la différence de la plupart des personnes atteintes de troubles anorexiques ou boulimiques. Au contraire, elles le valorisent et peuvent même avoir un côté un peu militant ou prosélyte. Elles vont reprendre à leur compte ce qu'elles ont pu entendre dans des émissions ou lire dans des magazines et sur les réseaux sociaux. Avec malheureusement des conséquences sur leur état nutritionnel qui peut être problématique."Sur le fond, elles n'ont pas tort d'éviter certaines nourritures malsaines. Le problème, c'est quand cela tourne à l'obsession ou à la phobie et que les restrictions se multiplient.

L'orthorexie a des similitudes avec l'anorexie mentale, notamment une forme de perfectionnisme.

"Ces personnes ont un discours qui peut paraître tout à fait adéquat sur les additifs alimentaires, sur les aliments préparés. On fait bien de se méfier du sucrose et des sirops de glucose et de fructose, rappelle par exemple le Dr Simon, car ce sont des suppléments alimentaires problématiques, essentiellement parce qu'ils conduisent à une dépendance au sucre contrairement au sucre de canne ou de betterave." Mais supprimer de son alimentation toute forme de sucre, sans distinction, est délétère pour l'organisme, qui en a besoin, essentiellement sous la forme de féculents.
L'orthorexie entraîne des problèmes à différents niveaux. "L'état de dénutrition relatif que peuvent présenter ces personnes conduit souvent à des altérations, notamment de la mémoire de travail, illustre le psychiatre. Il s'agit de la mémoire que nous utilisons lorsque nous avons un problème à résoudre, qui garantit la capacité à rechercher les informations nous permettant de réfléchir et de donner notre point de vue." Une alimentation trop restrictive a également des impacts sur le plan psychologique : "Cela change le mode de pensée en rendant la personnalité plus rigide, avec une focalisation sur les détails." L'orthorexie peut enfin générer de l'isolement ou des tensions relationnelles, car ces personnes auront tendance à éviter les circonstances lors desquelles elles ne peuvent pas contrôler ce qui se trouve dans leur assiette : sorties au restaurant, les repas entre amis, etc.

Adressez-vous à un spécialiste !
Pour traiter un trouble du comportement alimentaire, il est préférable de consulter un psychologue disposant d'une expertise dans ce domaine. Il pourra distinguer s'il s'agit d'orthorexie, d'anorexie, d'un problème de dépression ou d'autre chose. Les troubles du spectre de l'autisme, par exemple, peuvent aussi conduire à des évitements alimentaires, mais ne relèvent pas de l'orthorexie ni de l'anorexie. Il importe donc, avant tout traitement, d'établir un diagnostic différentiel pour éventuellement orienter vers des thérapies plus adéquates.

Un mal inconscient
Persuadées de bien faire, les personnes orthorexiques ne réalisent généralement pas que leur comportement est problématique. Les soucis de santé dus aux carences que leur régime entraîne les poussent parfois à le restreindre encore davantage, blâmant tel ou tel aliment. "Elles peuvent avoir envie de consulter si elles souffrent des conséquences de leur orthorexie, que ce soit des conséquences physiologiques ou un impact sur le plan social", constate le Dr Simon.
Mais le plus souvent, c'est l'entourage de la personne qui va chercher de l'aide. Le psychiatre encourage alors les proches à consulter avec la personne : "Simplement pour faire le point avec elle et s'intéresser aux impacts négatifs que cela peut avoir dans sa vie."
Comment aborder le sujet ? "La première chose, c'est de ne pas s'énerver ni se fâcher, de rester très calme et non critique, conseille le psychiatre. On peut dire que l'on ne partage pas le même point de vue et exprimer le sien. Il peut y avoir chez ces personnes qui présentent de l'orthorexie un caractère un peu 'militant', voire sectaire, avec des croyances problématiques quant à certains régimes alimentaires. Le mieux est de maintenir sa position et de ne pas s'engager dans des discussions à l'infini."

Changer les croyances pour guérir
Pour aider la personne à sortir de l'engrenage de l'orthorexie, on aura recours à des techniques similaires à celles utilisées dans les cas d'anorexie mentale. Le point primordial est d'obtenir que la personne parvienne à élargir son répertoire alimentaire, notamment pour éviter les carences. "Mais cela prend du temps, comme pour soigner un TOC, avertit le Dr Simon. Cela demande un travail cognitif et comportemental. Il faut que la personne soit motivée, qu'elle ait envie de changer son comportement, poursuit le psychiatre."Nous les aidons à se montrer critiques par rapport à leurs croyances, explique le Dr Simon. Les sujets confrontés à l’anorexie mentale sont exigeants avec eux-mêmes. La différence avec l'orthorexie, c'est qu'il ne s'agit pas d'une préoccupation corporelle, mais plutôt de croyances concernant le caractère malfaisant ou bienfaisant d'un type d'aliment."
Dans l’orthorexie, il y a une tendance à vouloir imposer ses idées aux autres, ce qui peut créer des tensions avec l'entourage. "Cela leur pose des difficultés dans les relations avec les collègues de travail ou au sein de la famille. Finalement, elles s'orientent quelquefois vers d'autres personnes présentant la même problématique, car elles ne se sentent plus à l'aise qu'avec ceux qui pensent comme elles au niveau de l'alimentation." L’entourage garde pourtant un rôle à jouer dans la guérison. "Souvent, la personne avec un comportement orthorexique est désignée comme étant le problème, mais elle peut avoir besoin du soutien de ses proches pour en sortir. Il est important qu'elle ait la capacité d'expliciter ce qui l'aide et ce qui ne l'aide pas pour surmonter la difficulté", souligne le Dr Simon.   

>> En savoir plus : Pour les proches : miata.be - Pour les professionnels : cepia-poids-alimentation.be         

      Article publié initialement sur le média "En Marche" de la mutualité chrétienne ce mercredi 21 juin 2023. Consultable en ligne via le lien se trouvant ci-dessous : https://www.enmarche.be/sante/sante-mentale/quand-manger-sain-n-est-plus-si-sain-1.htm#:~:text=Faire%20attention%20%C3%A0%20ce%20que,21%20Juin%202023%205%20min.